Au retour de notre excursion en Nouvelle-Angleterre, j’ai retrouvé dans de vieux carnets quelques notes sur la randonnée que j’avais faite en solo, huit ans auparavant. Je t’en ai parlé pendant que nous escaladions le Mont Lafayette pour aller souper et dormir au beau refuge Greenleaf Hut.
Ce jour là j’avais dans mon sac: un sandwich, des biscuits, une bouteille d’eau, un coupe-vent, un minuscule carnet, un field guide des sommets, une carte des sentiers, un petit appareil-photo. Dans ma tête, des chansons, le goût de vivre, et un esprit ouvert à l’enchantement.
8 août 2009. Lafayette Campground – Franconia Notch State Park, New Hampshire. J’ai planté ma tente sur le site no. 80 – une toute petite tente Marmot pour deux, toute neuve, légère, achetée en solde l’an dernier, jamais utilisée – dans une forêt de hêtres et de bouleaux jaunes.
Je suis arrivé à Franconia vers 16h15 et me suis arrêté à Robert Frost Place. Il faisait beau, le sentier sentait les herbes fraîches et les impatientes du Cap. Il n’y avait personne, que moi et un jeune homme très beau lisant sur une chaise en bois à côté de la maison que le célèbre poète a habité de 1915 à 1920. J’ai visité les lieux, pris quelques photos, acheté un recueil de poèmes. Ça m’a rasséréné, la route avait été longue.
Nous sommes partis de Cape Cod ce matin vers 9h00, pour arriver à South Station, Boston, vers midi. Nous avons lunché en regardant les quais de la gare. Élie (6 ans) ne tenait plus sur place tellement il avait hâte de prendre le métro jusqu’à l’aéroport. J’ai quitté le centre-ville de Boston vers 13h00, la circulation était lente et dense sur la 93N dans les villes à la périphérie. À partir de la frontière du New Hampshire, j’ai roulé à toute allure, espérant atteindre Franconia avant 17h00.
Il est maintenant 19h00, j’entend clairement l’autoroute 93 à quelques centaines de mètres seulement du camping. C’est comme une rivière qui gronde, avec des ronflements sonores par moment. Je ne sais si je vais réussir à dormir.
J’ai visité Robert Frost Place et ça m’a plu. J’ai admiré la vue que le poète avait sur le Mont Lafayette, j’ai vu la chaise où il s’asseyait pour écrire, j’ai visité sa chambre, j’ai examiné d’anciennes éditions de ses receuils. Une courte demie-heure de recueillement, heureux de goûter ma solitude, de n’avoir rien à justifier ou à expliquer. J’ai oublié la longue route, le tourbillon des journées à Cape Cod, les petits drames enfantins quotidiens. J’y ai réalisé un souhait et ça m’a plu. J’espère pouvoir un jour initier mes fils à cela: la poésie, la contemplation, le jeu des mots qui font avancer dans le réel plus loin que ne le permet le langage de tous les jours. Comment Frost a-t’il réussi à y consacrer sa vie? C’est la question en arrière-plan de ma curiosité pour ce site, cette maison, cette vieille grange sur les murs de laquelle sont affichés les portraits de quelques poètes qui sont venus travailler ici, en résidence. De belles têtes étonnantes.
9 août 2009, 10h52, Franconia Ridge (1550 m); première pause. Le temps est parfait, avec ce ciel partiellement couvert et ce vent faible. Je suis parti du terrain de camping vers 7h15 et commencé l’ascencion du sentier Falling Waters à 7h40; je suis parvenu à la limite des arbres deux heures plus tard.
Je n’ai croisé que deux personnes pendant la montée. Le sentier de la crête est plus achalandé. J’ai croisé un garde de parc et lui ai posé des questions au sujet d’un glissement de terrain visible sur le flanc sud-est du mont Lafayette. D’où je suis, je vois devant moi les Mont Cannon et Lafayette et à l’est au loin, le Mont Washington; à l’ouest le village de Franconia. On entend presque pas l’autoroute, que le vent et les voix des marcheurs.
Depuis que je suis dans la zone alpine, j’ai observé plusieurs plantes arctiques-alpines dont certaines sont en fleurs. La plus abondante est l’Arenaria groenlandica, qui forme de beaux bouquets, souvent en touffes suspendues aux rochers. La Diapensia, déjà en fruits, est aussi très commune, de même que le Vaccinum uliginosum; quelques potentilles (P. tridentata) encore en fleurs, plus dispersées. Deux espèces à fleurs jaunes sont relativement fréquentes dans les endroits protégés: Geum peckii et Solidago cutleri. Le Prenanthes trifoliata fleurit aussi, mais semble plus rare sur cette crête exposée. J’ai vu une grande colonie de camarine (Empetrum nigrum) près du sommet du Mont Haystack. Des saules nains (Salix arctophila?) se mêlent au Vaccinum uliginosum. L’airelle vigne-d’ida (Vaccinum vitis-idaea) est également commune; Lycopodium selago est peu fréquent et le thé du Labrador (Ledum groenlandicum) pousse souvent avec V. uliginosum.
11h30. Sommet du Mont Lafayette (1604 m). Calme surprenant, à peine six ou sept randonneurs, dont deux couples francophones qui prennent plein de photos. J’en profite pour noter que des renards vivent ici, d’après les nombreuses « traces » qu’ils ont déposées bien en vue sur des rochers le long du sentier, et qu’annoncent des volées de mouches. Quelques syrphidées visitent les fleurs de sabline (Arenaria) et de verge d’or (Solidago), dont une aux yeux rouges. Je vais redescendre tranquilement pour finir dans la douche et partir pour Ottawa avant la fin de l’après-midi.
12h20. Arrivé au refuge Greenleaf Hut. Déjà quitté la toundra alpine. Près du petit lac tout proche, j’ai entendu une grenouille et un bruant à gorge blanche. De la sapinière à la toundra, la transition est douce. On marche d’abord dans des sapinières pures et, petit à petit, la taille des arbres diminue, jusqu’au krummoltz. Dans la toundra, les sapins rampent sur les rochers. Même sur la crête, ils forment de petites poches de forêt rabougrie où poussent des plantes boréales, comme la coptide, la clintonie et des lycopodes. Dans la sapinière d’altitude, la régénération est très dense par endroit, alors qu’elle est presque absente ailleurs, là où le sous-bois est couvert de mousses. Le ciel se couvre complètement. Je mange quelques biscuits et je repars.
Huit ans plus tard, me re-voilà, au Greenleaf Hut, cette fois pour y manger et passer la nuit, avec toi. Nous avons fait la deuxième moitié de l’ascension sous la pluie et sommes arrivés tout trempés, mais heureux. L’accueil est chaleureux dans ce refuge qui affiche complet.
Le lendemain, après une bonne nuit de sommeil parmi les randonneurs de tout âge endormis dans ces lits superposés, un copieux déjeuner nous attendait. Avant de redescendre dans le Notch, nous grimpons sur les pentes abruptes du Mont Lafayette, pour découvir ce vaste panorama vert, bleu, et blanc.
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