Franconia Notch

Au retour de notre excursion en Nouvelle-Angleterre, j’ai retrouvé dans de vieux carnets quelques notes sur la randonnée que j’avais faite en solo, huit ans auparavant. Je t’en ai parlé pendant que nous escaladions le Mont Lafayette pour aller souper et dormir au beau refuge Greenleaf Hut.

Ce jour là j’avais dans mon sac: un sandwich, des biscuits, une bouteille d’eau, un coupe-vent, un minuscule carnet, un field guide des sommets, une carte des sentiers, un petit appareil-photo. Dans ma tête, des chansons, le goût de vivre, et un esprit ouvert à l’enchantement.

Carnets Franconia

8 août 2009. Lafayette Campground – Franconia Notch State Park, New Hampshire. J’ai planté ma tente sur le site no. 80 – une toute petite tente Marmot pour deux, toute neuve, légère, achetée en solde l’an dernier, jamais utilisée – dans une forêt de hêtres et de bouleaux jaunes.

Je suis arrivé à Franconia vers 16h15 et me suis arrêté à Robert Frost Place. Il faisait beau, le sentier sentait les herbes fraîches et les impatientes du Cap. Il n’y avait personne, que moi et un jeune homme très beau lisant sur une chaise en bois à côté de la maison que le célèbre poète a habité de 1915 à 1920. J’ai visité les lieux, pris quelques photos, acheté un recueil de poèmes. Ça m’a rasséréné, la route avait été longue.

Nous sommes partis de Cape Cod ce matin vers 9h00, pour arriver à South Station, Boston, vers midi. Nous avons lunché en regardant les quais de la gare. Élie (6 ans) ne tenait plus sur place tellement il avait hâte de prendre le métro jusqu’à l’aéroport. J’ai quitté le centre-ville de Boston vers 13h00, la circulation était lente et dense sur la 93N dans les villes à la périphérie. À partir de la frontière du New Hampshire, j’ai roulé à toute allure, espérant atteindre Franconia avant 17h00.

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Il est maintenant 19h00, j’entend clairement l’autoroute 93 à quelques centaines de mètres seulement du camping. C’est comme une rivière qui gronde, avec des ronflements sonores par moment. Je ne sais si je vais réussir à dormir.

J’ai visité Robert Frost Place et ça m’a plu. J’ai admiré la vue que le poète avait sur le Mont Lafayette, j’ai vu la chaise où il s’asseyait pour écrire, j’ai visité sa chambre, j’ai examiné d’anciennes éditions de ses receuils. Une courte demie-heure de recueillement, heureux de goûter ma solitude, de n’avoir rien à justifier ou à expliquer. J’ai oublié la longue route, le tourbillon des journées à Cape Cod, les petits drames enfantins quotidiens. J’y ai réalisé un souhait et ça m’a plu. J’espère pouvoir un jour initier mes fils à cela: la poésie, la contemplation, le jeu des mots qui font avancer dans le réel plus loin que ne le permet le langage de tous les jours. Comment Frost a-t’il réussi à y consacrer sa vie? C’est la question en arrière-plan de ma curiosité pour ce site, cette maison, cette vieille grange sur les murs de laquelle sont affichés les portraits de quelques poètes qui sont venus travailler ici, en résidence. De belles têtes étonnantes.

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9 août 2009, 10h52, Franconia Ridge (1550 m); première pause. Le temps est parfait, avec ce ciel partiellement couvert et ce vent faible. Je suis parti du terrain de camping vers 7h15 et commencé l’ascencion du sentier Falling Waters à 7h40; je suis parvenu à la limite des arbres deux heures plus tard.

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Je n’ai croisé que deux personnes pendant la montée. Le sentier de la crête est plus achalandé. J’ai croisé un garde de parc et lui ai posé des questions au sujet d’un glissement de terrain visible sur le flanc sud-est du mont Lafayette. D’où je suis, je vois devant moi les Mont Cannon et Lafayette et à l’est au loin, le Mont Washington; à l’ouest le village de Franconia. On entend presque pas l’autoroute, que le vent et les voix des marcheurs.

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Depuis que je suis dans la zone alpine, j’ai observé plusieurs plantes arctiques-alpines dont certaines sont en fleurs. La plus abondante est l’Arenaria groenlandica, qui forme de beaux bouquets, souvent en touffes suspendues aux rochers. La Diapensia, déjà en fruits, est aussi très commune, de même que le Vaccinum uliginosum; quelques potentilles (P. tridentata) encore en fleurs, plus dispersées. Deux espèces à fleurs jaunes sont relativement fréquentes dans les endroits protégés:  Geum peckii et Solidago cutleri. Le Prenanthes trifoliata fleurit aussi, mais semble plus rare sur cette crête exposée. J’ai vu une grande colonie de camarine (Empetrum nigrum) près du sommet du Mont Haystack. Des saules nains (Salix arctophila?) se mêlent au Vaccinum uliginosum. L’airelle vigne-d’ida (Vaccinum vitis-idaea) est également commune; Lycopodium selago est peu fréquent et le thé du Labrador (Ledum groenlandicum) pousse souvent avec V. uliginosum.

11h30. Sommet du Mont Lafayette (1604 m). Calme surprenant, à peine six ou sept randonneurs, dont deux couples francophones qui prennent plein de photos. J’en profite pour noter que des renards vivent ici, d’après les nombreuses « traces » qu’ils ont déposées bien en vue sur des rochers le long du sentier, et qu’annoncent des volées de mouches. Quelques syrphidées visitent les fleurs de sabline (Arenaria) et de verge d’or (Solidago), dont une aux yeux rouges. Je vais redescendre tranquilement pour finir dans la douche et partir pour Ottawa avant la fin de l’après-midi.IMG_0418

12h20. Arrivé au refuge Greenleaf Hut. Déjà quitté la toundra alpine. Près du petit lac tout proche, j’ai entendu une grenouille et un bruant à gorge blanche. De la sapinière à la toundra, la transition est douce. On marche d’abord dans des sapinières pures et, petit à petit, la taille des arbres diminue, jusqu’au krummoltz. Dans la toundra, les sapins rampent sur les rochers. Même sur la crête, ils forment de petites poches de forêt rabougrie où poussent des plantes boréales, comme la coptide, la clintonie et des lycopodes. Dans la sapinière d’altitude, la régénération est très dense par endroit, alors qu’elle est presque absente ailleurs, là où le sous-bois est couvert de mousses. Le ciel se couvre complètement. Je mange quelques biscuits et je repars.

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Huit ans plus tard, me re-voilà, au Greenleaf Hut, cette fois pour y manger et passer la nuit, avec toi. Nous avons fait la deuxième moitié de l’ascension sous la pluie et sommes arrivés tout trempés, mais heureux. L’accueil est chaleureux dans ce refuge qui affiche complet.

Le lendemain, après une bonne nuit de sommeil parmi les randonneurs de tout âge endormis dans ces lits superposés, un copieux déjeuner nous attendait. Avant de redescendre dans le Notch, nous grimpons sur les pentes abruptes du Mont Lafayette, pour découvir ce vaste panorama vert, bleu, et blanc.


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L’alchimie de l’Okanagan

T’es-t’il déjà arrivé de retourner dans un lieu et ne rien reconnaître?

Ça m’est arrivé l’an dernier, lors d’un séjour dans la vallée de l’Okanagan.

J’ai visité cette région du centre sud de la Colombie-Britannique pour la première fois quand j’avais dix-sept ans et venais de terminer l’école secondaire. Une grande soif d’aventures et de découvertes m’avait décidé à partir dans l’Ouest passer l’été à cueillir des fruits à Osoyoos. Cette petite ville située à l’extrême sud de la vallée de l’Okanagan, m’était alors inconnue.

Dépaysement total

Pour un petit Québécois comme moi, voir l’Okanagan fut un dépaysement. Le climat chaud et sec de la vallée, sa géologie et sa position méridionale, ont donné naissance à des écosystèmes et une flore uniques. Ces mêmes caractéristiques rendent la région attrayante pour le tourisme, la villégiature, et plusieurs cultures fruitières, y compris la vigne. C’est un peu comme la Californie, moins le prestige.

J’y suis retourné au printemps dernier, à l’occasion d’une réunion. Je me suis promené dans Kelowna, puis j’ai fait une courte excursion jusqu’à Osoyoos. Je suis allé tout près de la ferme où j’avais passé l’été de 1980. Le paysage, sans être totalement nouveau, ne m’était toutefois pas familier. Près de quarante ans plus tard, à part l’allure général du paysage, avec ces collines herbeuses, les arbustes épars, les forêts de pin sur les hautes pentes, je n’ai rien reconnu.  Je le re-découvrais avec des yeux chargés de connaissances que je n’avais pas à 17 ans. J’ignore si c’est  à cause de ma mémoire, ou parce que la région a tellement changé.

Chose certaine, la vallée n’est plus la même. La population de la région a plus que doublé. Les vignes couvrent aujourd’hui sept fois plus d’espace qu’en 1980.  Mais il ne faut pas s’attendre à des paysages viticoles comme ceux de la Côte D’or ou des Côtes du Rhône, où l’on cultive la vigne depuis des siècles. Il y manque quelque chose: l’histoire, la tradition, la maturité ? Je ne saurais dire.

La viniculture, de la plantation des vignes jusqu’au verre de vin, est une série d’opérations alchimiques qui transforment la terre en or. Littéralement. Les vignobles contribuent 2 millards de dollars à l’économie de la Colombie-Britannique, emploient plus de 10,000 personnes et attirent chaque année près de 800,000 touristes.

Au Centre Culturel du Désert Nk’Mip, la première nation Osoyoos a protégé du développement une grande parcelle de nature. Des sentiers nous font découvrir de près la biodiversité exceptionnelle de cette région. On se rend vite compte que les vignobles prolifèrent sur ces sols où poussaient, il n’y a pas si longtemps, des arbustaies autrement plus riches en espèces végétales et animales.

La chouette Chevêche

Au lendemain de cette excursion, attablé dans un restaurant de Kelowna, je savoure un excellent Merlot du vignoble « Burrowing Owl ».  Son intense bouquet fruité et sa texture velouté se marrie agréablement aux saveurs franches des fromages et charcuteries locales qu’on m’a servi sur une planche de bois d’olivier.

Le nom « Burrowing Owl » désigne une magnifique petite chouette indigène de la région: la Chevêche des terriers.  Espèce des prairies naturelles, et en voie de disparition au Canada, elle aurait complètement disparue de l’Okanagan dans les années 1980. À partir de 1983, on a élevé des individus en captivité pour les relâcher en nature. En 2015, on dénombrait 16 individus de cette espèce dans la région.

Les propriétaires du domaine « Burrowing Owl » affirment avoir jusqu’à maintenant contribué près d’un million de dollars à ce programme de rétablissement. L’avenir nous dira si dans l’alchimie de l’Okanagan, conservation de la nature et viniculture se combineront pour produire une panacée.

En attendant, alors que je bois à mes souvenirs en voie d’extinction, je constate qu’au fond, le passé est aussi incertain que l’avenir.


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Comment mourrir quand on est un arbre

Ces arbres qui atteignent des tailles gigantesques fascinent. Monuments vivants parfois plusieurs fois centenaires, ils peuvent donner le vertige.

img_2642Le quartier Old Ottawa South, où j’habite, s’est développé en partie dans une zone qui pendant des siècles étaient immergée par les crues de la rivière Rideau. Le chêne à gros fruits, Quercus macrocarpa, est l’une de nos quelques espèces qui résistent et profitent des inondations printanières. Des individus de cette espèce vivent jusqu’à 200 ans tout en atteignant des dimensions imposantes. Quelques uns de ces doux géants subsistent dans des parcs, des cours et le long de certaines rues, surtout près de la rivière.

L’un de ces chênes du quartier détenait jusqu’à récemment le record, avec un diamètre basal de près d’un mètre et demi. Sa mort, survenue en 2011, a causé surprise et consternation. Il poussait sur un minuscule espace vert qui est un vestige de la plage Brighton, où l’on se baignait dans la rivière Rideau des années ‘20 jusque dans les années ‘70. Il imposait par sa taille et répandait une ombre bienfaisante. Beaucoup de gens du quartier le vénéraient en silence. C’était une de ces présences tranquilles, qu’on prend pour acquise. Jusqu’au jour où elle disparaît.

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Il est commode parfois de croire à la réincarnation

Dans le hall d’entrée du récent pavillon River, au royaume du bitume et du béton qu’est le campus de l’Université Carleton, je suis accueilli par une grande sculpture abstraite en bois. Je lis sur une petite plaque posée au mur derrière l’objet, que le sculpteur David Fels d’Ottawa l’a façonnée dans une grande section du tronc de cet énorme chêne mort à la plage Brighton.

Ce qui me frappe, outre la taille imposante de l’oeuvre, est son caractère aérien, la légèreté qu’elle évoque. Elle me fait penser à une lithographie d’Escher: “Bond of Union” (1956). L’artiste a intitulé celle-ci “Sailing through time” et la présente comme un hommage à l’arbre bicentenaire qui a fourni la matière première.

Le bois est une matière extraordinaire, qui est non seulement caractéristique de l’essence, mais aussi de l’histoire de l’arbre qui l’a produit. Le bois est en fait un trésor caché, car l’arbre vivant ne le révèle que rarement, tant au sens littéral que figuré.

Ce que je remarque d’un arbre c’est d’abord son profil, la structure de ses ramifications, son feuillage, son écorce, ses fleurs et ses fruits. La couleur, l’odeur, la densité, la structure, et la dureté de son bois n’ont rien à voir avec ce que l’arbre me montre. Je suis tenté de dire que c’est l’artiste ou l’artisan qui crée le bois. Devant l’oeuvre achevée, j’entend l’enfant demander au sculpteur: “comment savais-tu que cela se cachait dans l’arbre?”

Les arbres meurent-ils de vieillesse?

Un autre enfant aurait demandé pourquoi l’arbre est-il mort? La question mérite qu’on s’y arrête. De quoi meurent les arbres? Peuvent-ils mourir de vieillesse?

Les végétaux ont cette capacité de croître indéfiniment: leurs cellules sont autant d’embryons, conservant la capacité de devenir racine, vaisseau, feuille. La plupart des arbres meurent de maladie, ou parce que leur tronc fragilisé par la carie se brise. Toute leur vie, ils se protègent des infections en créant des barrières, mais cette protection, qui consomme de l’énergie, est temporaire et doit se renouveler constamment. Un jour, l’arbre n’arrive plus à se défendre. Plus il vit longtemps, plus il a de chances d’être abattu ou brisé par le vent, brûlé par un feu, attaqué par des insectes et des champignons pathogènes, endommagé par la neige ou le verglas.

Ce n’est que dans des conditions exceptionnelles que l’arbre croît pendant plusieurs siècles. Par exemple, dans les fonds de vallée protégés de la côte californienne, où poussent des séquoias de 110 mètres de haut et huit mètres de diamètre, et qui ont en moyenne entre 1200 et 1800 ans. Ou encore dans les hautes montagnes arides plus à l’est, dans la Sierra Nevada, où des pins tout rabougris survivent depuis plus de 4000 ans.

Les chênes à gros fruits sont quant à eux des géants aux pieds d’argile. Ils supportent très mal la sécheresse et encore moins la compaction du sol et le sel de déglaçage. Souvent, les chênes qui ont atteint un stade avancé de dépérissement sont achevés par les attaques d’un petit coléoptère qui vient creusé des galeries dans le cambium (le tissus mou entre le bois et l’écorce). C’est probablement une combinaison de ces stress qui a eu raison de notre chêne géant.

J’ai eu la chance de le prendre en photo quelques semaines avant que les ingénieurs forestiers de la ville le déclarent officiellement mort et à abattre. Des résidents ont demandé un sursis de quelques jours, le temps d’organiser une cérémonie d’adieux.

Inclusivité

David Fels a créé une autre grande sculpture à même une section du gros chêne. Il s’agissait de remplir une seconde commande de l’Université Carleton, cette fois pour incarner l’idée d’inclusivité.

J’ai rencontré cette œuvre par hasard, alors qu’elle était temporairement exposée au rez-de-chaussé du centre des congrès d’Ottawa. De facture assez différente de la première, mais d’une taille semblable, elle évoque un monstre quadrupède qui se métamorphose selon l’angle qu’on le regarde.

En l’examinant de près et de loin, sous différents angles, et à plusieurs reprises,  je constate une fois de plus que l’attrait d’une oeuvre abstraite comme celle-là réside souvent dans les images qu’elle suscite, sa capacité de stimuler l’imagination.

Dans un espace public, une sculpture abstraite attire davantage l’attention qu’une oeuvre figurative. Tel un arbre, elle offre aux regards plusieurs visages, alors que la statue typique du personnage historique ou sacré impose le sien. Et passe souvent inaperçue.

Un arbre en prison

Des résidents de mon quartier avaient suggérés qu’une oeuvre réalisée avec le bois du vieux chêne soit installée à l’endroit même où il avait vécu. J’ignore pourquoi cette idée n’a pas été retenue et comment l’Université Carleton a obtenu la mainmise sur le bois. Chose certaine, une sculpture sur bois en plein-air aurait demandé plus d’entretien en plus d’être exposée au vandalisme.

Cela me rappelle l’oeuvre abstraite que l’artiste québécois Armand Vaillancourt avait sculptée à même un orme mort, sur le bord de la rue Durocher à Montréal. Je me demande si David Fels la connaît. En 1953, la performance publique du jeune Vaillancourt ne passa pas inaperçue, surtout qu’elle s’étala sur plusieurs mois. L’oeuvre, que l’étudiant avait conçue comme un manifeste pour ouvrir l’art sur la vie et la place publique à l’art, réside depuis 1995 dans le Pavillon Charles-Baillairgé du Musée national des Beaux-Arts du Québec. C’est pour le moins ironique pour une œuvre qui clamait la liberté de se trouver dans une ancienne prison.

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À la plage Brighton, abandonnée depuis longtemps par les baigneurs, ne reste aujourd’hui que le contour du tronc du géant. La rivière, que personne ne veut dépolluer, passe là tout près, tranquille dans son lit grâce aux nombreux ouvrages qui contrôlent son débit. Sa présence augmente la valeur des maisons, mais ne baigne plus que des chiens et ne nourrit plus les chênes.


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Une Renaissance pour Jamesville

Jamesville est un bout de quartier du centre-ville d’Hamilton, sur le bord du Lac Ontario. Ce quartier en transition se dessine un nouvel avenir dans une ville marquée par son passé industriel fissuré. En octobre dernier, ma bien aimée avait été invitée à participer à un congrès dans cette ville située au sud de Toronto et que je n’avais jamais visitée. Je l’ai accompagné et en ai profité pour explorer la ville à pieds et en bus.

Soir et matin

Un doux soir d’automne, à la recherche d’un restaurant, nous avons découvert cette rue James, agréablement animée. Les restaurants prometteurs étaient pleins, ce qui nous a obligé à chercher plus longtemps que prévu. Nous avons finalement opté pour une table avec vue sur la rue au Lake Road, un restaurant au menu créatif et invitant. Nous n’avons pas été déçus.


Le lendemain matin, j’y suis retourné de bonne heure, à la recherche cette fois d’un café pour prendre le déjeuner. Je suis entré dans le Mulberry Street Coffee House, au décor un peu rustique et patiné. Une des pièces paraissait tranquille, occupée seulement par une jeune femme et son Macbook. Je me suis attablé face à la vitrine et j’y ai siroté mon café au lait en gardant ma caméra près de moi – un Fuji X-E2 que je traîne partout. Pour pouvoir prendre des photos sans attirer l’attention, je l’avais équipé d’un très discret objectif 35mm et avait réglé l’obturateur sur le mode électronique, ce qui rend le déclenchement totalement silencieux.

Une femme est venue s’asseoir au comptoir de la vitrine, avec un livre et une tasse de café en carton. Ses vêtements, sa posture, et ses mains usées m’ont intrigué – je l’imaginais une artiste à la vie précaire et compliquée. Elle a lu quelques minutes puis s’est mise à consulter anxieusement son téléphone.

Un air d’Europe

Un peu plus loin sur la rue, des marchands de fruits et légumes installaient leurs produits sur des caisses directement sur le trottoir. Une petite communauté d’origine Portugaise habite toujours le quartier, le colorant d’une personnalité toute européenne. Deux vieux amis se parlaient dans leur langue maternelle. Toute cette activité matinale simple et lente faisait contraste avec l’atmosphère du soir de la veille.

Nostalgie à vendre

Un peu plus loin, la vitrine d’une boutique exposait une collection d’objets vieux – comme moi – d’à peine quelques décennies, vendant de la nostalgie comme un supplément d’âme. En face, une vieille église, d’allure si sombre le soir d’avant, sortait de l’ombre.



En retournant à l’hôtel, j’ai pu remarquer comment des architectes contemporains avaient réussi à redonner vie à quelques bâtiments du quartier. Ça se voyait à des détails, comme ces ornements mis en valeur ici et là, ces façades ragaillardies. On y sentait l’intention des artistes de l’époque, peut-être influencés par l’Art Nouveau. Ce mouvement aussi bref qu’immensément créatif, dont l’écho s’entend jusqu’au Royal Botanical Garden, où j’ai trouvé cette magnifique femme de pierre, parmi des fleurs, de l’eau… et le son des autoroutes qui passent tout près.

 

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Wendake, perdu et retrouvé

Le son de la rivière en crue entre comme un torrent par la fenêtre de ma chambre. Je distingue ses reflets argentés dans le soir d’avril qui tombe. Je viens d’arriver à Wendake, à l’hôtel Premières Nations, à l’architecture unique et audacieuse. Un taxi m’a conduit ici directement de l’aéroport Jean-Lesage. Je me sens dans un petit village au milieu de la campagne. Plus tard, en regardant sur la carte numérique du iPad, j’apprendrai que c’est la rivière St-Charles qui coule là, et qu’elle rejoint le fleuve St-Laurent dans le port de Québec, à quelques minutes en auto.

La mission

Au 18ème siècle, des Jésuites ont établis une « mission » ici, pour évangéliser ceux qu’ils appelaient les Hurons. La petite église, Notre-Dame-de-la-Lorette, subsiste comme un phare que l’on voit de loin, autant dans l’espace que dans le temps.

Kabir Kouba

Le lendemain, après la réunion pour laquelle je suis venu ici, je me rend près de la rivière, je veux la connaître. Je découvre un sentier qui la suit. Au coeur du village, elle se jette avec force dans un canyon profond taillé dans le calcaire de la vallée du St-Laurent. Les Hurons-Wendats ont nommé cette chute Kabir Kouba. Sur ses rives subsistent les vestiges d’un moulin. Des escaliers me mènent au fond du canyon où un trottoir en bois me guide le long du torrent blanc. De grandes plaques de neige subsistent sur les parois du canyon.


Quelques mois plus tard, dans une boutique de la rue Sparks au centre-ville d’Ottawa, je tomberai par hasard sur cette gravure ancienne montrant la chute et le village. Le point de vue est le même que celui de la photo que je prend ce soir-là. On y reconnaît l’église, qui semble n’avoir jamais changé, et aussi le moulin sur la chute, dont il ne reste aujourd’hui que des ruines. Les arbres aux branches luxuriantes et les trois personnages qu’on aperçoit sur la droite, vraisemblablement des Hurons dans leurs vêtements traditionnels, donnent à la gravure une allure exotique. [La gravure est intitulée « Village de Lorette, près de Québec » et porte deux noms: W.H. Bartlett et W. Mossman. Elle a été publiée à Londres en 1840].

Avant de rentrer à l’hôtel, je m’arrête pour souper au restaurant Sagamité, dont le décor et le menu s’inspirent de la culture des Hurons-Wendat.

Noyé dans la banlieue

Au cours de la semaine que dure mon séjour, j’arpente au gré de mon humeur matinale les petites rues étroites de Wendake, parsemées de vieilles maisons. J’oublie que ce « petit village » est depuis quelques décennies, absorbé par une banlieue des plus banale qui s’étale depuis Québec jusque loin dans ce qui était jadis la campagne. Sur la route principale qui traverse le village, le flot constant d’autos, le matin et le soir, me rappelle à la triste réalité de l’urbanisme contemporain.


Chaque soir, après une longue journée de réunion dans une salle sans fenêtres, je retourne dans ma chambre écouter la rivière qui a chanté des milliers de printemps, reconnaissant envers les Hurons-Wendats qui ont su préserver cet espace tout en y faisant revivre cette culture trop longtemps méprisée.

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Méditation à l’arboretum

Cette photo, intitulée « méditation », a récemment été exposée à la galerie Trinity du Centre Shenkman, dans le cadre de l’exposition collective Mosaic du groupe Arteast. Il s’agit d’une impression de format 16 x 20 sur papier Kodak métallique faite à partir d’un fichier numérique.

C’est à l’arboretum en mai 2015 que j’ai pris cette photo. Elle pourrait avoir été mise en scène, mais elle ne l’est pas. Depuis que j’habite Ottawa, je vais souvent me promener dans l’arboretum de la ferme expérimentale, et j’aime particulièrement cette parcelle entourée de ruisseaux (comme une île) où pousse tranquille un beau saule au tronc énorme.

Quand mon fils Théo et moi sommes arrivés à bicyclette sur ce que nous appelons « l’île du grand saule », j’ai été intrigué par la jeune femme d’origine asiatique assise dans l’herbe. Elle tenait deux iPads sur ses cuisses et semblait méditer. J’ai fait signe à Théo de ne pas faire de bruit.

Un peu plus loin, j’ai déposé doucement mon vélo dans l’herbe et j’ai contemplé la scène. La juxtaposition de cet énorme tronc d’arbre avec cette toute petite femme m’a inspiré. J’ai sorti mon appareil photo – un Fuji X-E2, que j’ai presque toujours avec moi. Par chance, ce jour-là, l’appareil était équipé d’un zoom 18-55mm, ce qui m’a permis de cadrer rapidement. Pour qui aime la technique, les paramètres d’exposition étaient: ISO 200, focale 18mm, f5, 1/60.

Le ciel voilé d’après-midi donnait une lumière diffuse, rendant la scène sans contraste marqué ni jeu d’ombres. J’ai pris une seule photo. Mon fils n’est pas très patient, alors j’ai vite évalué le résultat. L’image – en couleur – me paraissait bien, nous sommes repartis.

Au développement – dans Lightroom – j’ai constaté que la couleur n’était pas nécessaire, et même nuisait à l’image. J’ai développé le fichier RAW en trois versions d’exposition différentes et puis fusionné ces versions avec l’outil HDR de Lightroom, de façon à étendre un peu la gamme tonale et ainsi la rendre plus proche de celle des films noir et blanc. J’ai ensuite converti le fichier résultant avec Silver Efex Pro (de la Collection Nik). Une des combinaisons de paramètres pré-définies donnait une image à la fois douce et détaillée, rendant l’atmosphère plus méditative. J’ai pensé qu’elle donnerait un très beau résultat en impression sur papier photo métallique.

J’avais pris déjà des photos de ce même saule, dont une alors que j’étais encore une fois avec Théo, deux ans auparavant. C’était plus tôt en mai, alors que les feuilles du saule étaient encore petites et d’un beau vert tendre. Le soleil de début de soirée donnait une lumière chaude et douce. Ce printemps-là je gardais toujours un appareil Fuji X-20 avec moi. C’est l’appareil qui m’a fait découvrir et apprécier la technologie des capteur X-trans de Fujifilm, de même que les espaces couleurs prédéfinis qui imitent ses films Provia, Astia, et Velvia. Pendant que mon fils perdait patience à m’attendre, j’ai saisi cette image paisible de jeunes garçons pêchant à l’ombre du géant saule.


Je suis depuis retourné plusieurs fois sur « l’île du grand saule », entre autres pour faire des portraits de Heather, qui est d’une grande beauté avec ses yeux merveilleux.

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Le temps des magnolias

magnolia de Soulange

À Ottawa, tout le monde vient voir les tulipes. Elles sont chaque printemps aussi belles avec leur forme régulière et leurs couleurs vives et variées.  Malgré tout, je leur préfère une autre plante à floraison printanière:  les magnolias, plus primitifs, plus rustiques, mais aussi tellement plus sensuels.

magnolia de Soulange

J’aime beaucoup chez les magnolias cette forte sensualité qui se dégage de la multitude des fleurs, avec leurs pièces florales charnues et leur parfum suave.

magnolia de Soulange

Magnolia de Soulange

Il existe environ une centaine d’espèces de magnolia dans le monde, principalement dans les climats tempérés chauds. Ils font partie d’une lignée très ancienne de plantes à fleurs apparues sur Terre avant les insectes, il y a environ 95 millions d’années.

Magnolia de Soulange

Ici en Ontario (et au Canada) une seule espèce de magnolia est indigène: le magnolia acuminé, un arbre rare et en péril au pays. La majorité des magnolias qu’on voit dans les jardins, les rues, et à l’arboretum de la ferme expérimental sont appelés magnolia de Soulange. Cet arbre cultivé est planté un peu partout dans les régions chaudes de l’est de l’Amérique du Nord.

Magnolia de Soulange

Magnolia de Soulange

Le magnolia de Soulange est un arbre buissonnant et spectaculaire avec ses nombreuses grandes fleurs blanc rose à pourpre qui apparaissent avant les feuilles. Il est le produit d’une croisement que le botaniste français Étienne Soulange-Bodi a créé à son chateau en 1820 entre deux espèces provenant de Chine: magnolia Yulan et magnolia lis. Dans les années qui ont suivi ce croisement, on a propagé cet arbre hybride ailleurs en Europe et de là en Amérique du Nord. Au fil du temps, on a créé une grande variété de cultivars à partir de ce croisement.

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Impressions

Invitation semples

Great photos! Nice mood in the hazy/blurry ones. Inspiring to a fellow photographer.

Your solitary steps

Your solitary steps

Flaque printanière. A spring puddle.

In a spring puddle

Reflection on the Rideau

Reflection on the Rideau

Amelanchier

Amelanchier

Poppies

Poppies

Magnolia

Magnolia

I love this collection of photographs! Each one seems to me to tell a story, and several bring to mind stories from my own life. The flowers are particularly evocative – which is unexpected to me. They do not seem to be plants at all – but eyes opening wide with wonder, a hand reaching out, lovers holding hands. Thank you for sharing this beautiful art.

Bank Canal Bridge on a foggy night

Bank Canal Bridge on a foggy night

Thank you. Your work is wonderful. I especially enjoy the Bank Street bridge photos.

 

Feet in the water, heads in the clouds

Feet in the water, heads in the clouds

You have truly captured some stunning nature patterns thanks to a very patient and skilled eye. A most exquise exhibition. I especially enjoyed « Feet in the water… » and the frosty leaves on metallic paper. Thank you for sharing in the neighbourhood.

Frosty morning

Frosty morning

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Perdu dans les bruyères

Dans un vieux refuge perdu parmi les bruyères quelque part en Écosse, j’ai découvert écrit sur un mur, ce poème anonyme. Je te l’offre, avec quelques images pour l’emballage.

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Every time I try to hide away
you find me
Every night
you find your way into my skin
inside my eyes

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Every morning
you’re the first air I breathe
All day long you’re every word I read
every drop of the water I need

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Every evening
I become that kite in your breeze
If only I could cut the string
that stupid string.

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Le pays de Bonheur d’occasion

Chère lectrice bienveillante,
Tu m’écris que mon essai sur Gabrielle Roy (Rue Deschambault) t’as donné le goût de redécouvrir cette auteure canadienne que tu as connue à l’école secondaire. Tu as donc décidé de lire le roman le plus célèbre de Garbielle Roy: Bonheur d’occasion. Tu m’avoues aussi ne pas bien connaître Montréal et que tu n’as jamais visité St-Henri, le quartier qui est le théâtre du roman, le pays de Bonheur d’occasion. Alors, j’ai décidé de t’y emmener.

Comme tu le sais, chaque lieu est fait de plusieurs couches, tel un mur mainte fois repeint. C’est d’autant plus vrai pour un vieux quartier comme St-Henri, où subsistent plusieurs vestiges du passé, comme autant de couleurs sous la peinture qui craque et pèle.

 St-Henri

Par un jour un peu gris de novembre, je me suis rendu en métro jusqu’à la station Place St-Henri. En sortant je suis tombé face à face avec ce premier vestige du passé: une porte cochère.

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En marchant par les petites rues, Ste-Émilie par exemple, j’ai remarqué que plusieurs maisons ont conservé leur porte cochère, ces anciennes petites maisons d’ouvriers dont la porte d’entrée donne directement sur le trottoir.

À l’angle des rues Saint-Augustin et Saint-Ambroise j’ai retrouvé presque intacte la maison de Jean Lévesque, l’amoureux de Florentine.

La maison de Jean Lévesque

« La maison où Jean avait trouvé un petit garni se trouvait immédiatement devant le pont tournant de la rue Saint-Augustin… Étroite de façade, la maison se présentait drôlement à la rue; de biais comme si elle eût voulu amortir tous les chocs qui l’ébranlaient Ses murs de côtés s’écartaient en V. …mais la maison n’était pas seulement sur le chemin des cargos. Elle était aussi sur la route des voies ferrées… » (Bonheur d’occasion, chapitre 2)

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À dix-sept ans, quand j’ai lu pour la première fois Bonheur d’occasion, je l’avoue: je n’aimais pas du tout Jean Lévesque. Je ne comprenais pas comment on pouvait inviter une jolie fille au cinéma et la regarder en cachette nous attendre en vain dans le froid. Mais l’auteure, elle, l’avait compris: Jean aimait Florentine tout en détestant profondément ce qu’elle représentait, cette misère résignée dont il voulait à tout prix s’échapper.

La voie ferrée, omniprésente dans le quartier comme au temps de Bonheur d’occasion, passe à moins de 10 mètres de la maison de Jean.

C’est d’ailleurs tout près de là qu’en août 1945 Gabrielle Roy s’est faite photographier avec une bande de jeunes garçons.

Un peu plus loin subsistent deux maisons joliement rénovées, visiblement construites bien avant l’ère industrielle.

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Avant que l’on construise le canal Lachine, vers 1825, ces maisons faisaient partie de St-Henri-des-Tanneries, un petit village d’artisans du cuir et de cultivateurs établis depuis longtemps.

Village des tanneries, Saint-Henri, près de Montréal, QC, 1859, Alexander Henderson, Sels d’argent sur papier monté sur papier, 20.3 x 25.4 cm (http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Saint-Henri_Montreal_1859.jpg)
 
 
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Pendant le siecle qui a suivi la construction du canal, on fera ce qu’on a fait partout ailleurs: les champs feront place aux usines, les chemins deviendront des rues ou des chemins de fer, et on construira à la hâte toutes ces maisons pour les ouvriers.

Par une de ces curieuses ironies de l’histoire, ce sont des gens de la campagne qui viendront peuplé ce qui était, il n’y a pas  St-Henri-13si longtemps, un village comme ceux qu’ils auront abandonnés.

L’été de 1940, Gabrielle Roy habite seule un petit logis rue Dorchester, pres d’Atwater. La chaleur accablante la fait fuir vers le fleuve  le jour, alors que le soir le besoin de chaleur humaine l’amène à St-Henri. Dans un essai intitulé Le pays de Bonheur d’occasion, publié en 1974, elle se souvient:

Le désir de la présence, de la douceur humaine fut si vif en moi tout à coup qu’il m’entraîna vers le bas de la rue Atwater où la rumeur de la vie était plus attirante.

(…) Au coin de courtes rues, les réverbères chiches révélaient des groupes, familles, voisins, assis en rond sur le trottoir et parfois au beau milieu de la chaussée. Petites agoras ou l’on discutait de la vie! La campagne juste hier quittée parce qu’elle ne faisait plus vivre et qu’on avait espéré mieux de la ville.

(…)

Au fond, la tragédie des gens assis dans la nuit douce qui se racontait leur vie de maison en maison, de rue en rue, était simple. C’était la tragédie toute banale des multitudes un peu partout dans le monde à cette époque… et encore maintenant. Celle des gens issus de la campagne, au coeur encore naïf, à l’esprit encore rustique, à l’âme encore religieuse, et les voilà projetés brusquement dans l’ère industrielle …

On aime dire que Bonheur d’occasion est l’oeuvre d’une pionnère du roman social réaliste qui a immortalisé St-Henri. Qu’en pensait Gabrielle Roy?

Le triste, c’est que St-Henri ne m’a peut-être jamais tout a fait pardonné d’avoir exposé sa misère. Curieux tout cela! Les pauvres n’aiment pas qu’on les montre pauvres, pas plus que les riches qu’on les montre riches et comblés. Pourtant les humains désirent qu’on dise le vrai de la vie. Mais le désirent-ils au fond?

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Entre 1967 et 1988, le nombre d’emplois dans le sud-ouest de Montréal est passé de 23 450 à 7 147. Je me souviens que dans les années ’70 et ’80,  St-Henri avait la réputation d’être un quartier “tough” où personne de mon entourage ne s’était jamais aventurer.  C’était un peu notre Bronx.

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Aujourd’hui encore, malgré les usines  converties en condos et en espaces à bureau, malgré les maisons rénovées, on dit qu’à St-Henri la pauvreté persiste; celles des familles monoparentales, des personnes vivant seules et des jeunes sans emploi.

À toute heure du jour et de la nuit, des trains transportant des tonnes de matières dangeureuses traversent encore ce quartier.

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1943 rue Notre-Dame vers l’est & St-Ferdinand (St-Henri)
http://www.metrodemontreal.com/forum/viewtopic.php?t=11970
 

À cause de l’illusion qu’on a en regardant passer un train ou un bateau d’être soi-même emporté, une bonne part de ce quartier semblait toujours quelque peu à la dérive. (Gabrielle Roy, Le pays de Bonheur d’occasion, 1974)


Gabrielle Roy à la gare de St-Henri
 

Là où était la gare de St-Henri, se trouve maintenant un Centre de services communautaires (CLSC) et derrière, une piste cyclable a remplacé la voie ferrée.

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La piste passe à côté de la vieille caserne de pompiers, toujours active et bien préservée.

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P.S.: À l’époque où Gabrielle Roy explorait Montréal et St-Henri, elle soumettait des textes à des revues et des journaux et n’en recevait jamais d’échos. Elle écrit:

Je m’imaginais avoir au moins un lecteur que je me représentais parfois me lisant de sa petite chambre comme je lui écrivais de la mienne, et cela suffisait pour me soutenir.

Je me sens comme ça, à la différence que je sais qu’une lectrice bienveillante quelque part attend de me lire et que je peux désormais m’adresser à elle.

Note: Plusieurs des photos d’archive sont empruntées au site Circuit Bonheur d’occasion (http://sthenri.tripod.com/circped3a.htm).

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